À 16 ans, on m'achetait un sac à main et j'étais comblée. Qu'est ce que je vais faire de toi. Un sac à main. Je pensais qu'elle était un peu plus intelligente. Tout compte fait, elle n'avait été qu'une idiote sans aucune compétence qui s'était accrochée à un millionnaire. Alors être jeune, belle et bête t'assurait la belle vie ?
Laissez-moi rester ici. Tu ne t'en rendra même pas compte. Annonçai-je, avant de terminer mon verre d'un cul-sec. Elle parlait, mais rien ne m'atteignait. Et rien ne l'atteignait non plus, j'avais beau descendre une bouteille de whisky devant ses yeux, elle continuait à détacher et rattacher ses cheveux sans n'émettre aucun énervement. J'étais assise, depuis des minutes entières, à réfléchir à ce que j'allais bien pouvoir foutre à Santa Barbara. En Amérique, à des milliers de kilomètres de chez moi. Qu'est ce qui te retient ici ? Ton père a trouvé quelque chose d'encore plus luxueux. Les américains sont si mignons, en plus. S'il te plaît ! Des mecs ont en trouve partout. En plus, moi qui voulait m'abstenir. Ne te fatigue plus, tu ne me feras pas sortir pas d'ici. Je ne partirais jamais. Du moins, pas tant que je ne le voudrais pas. Sur ce, bon vent Madame je continue de porter de la soie pour que personne ne remarque que mon mari a arrêté de me donner de l'argent.

Cage the Elephant à fond. Un bon moyen de penser à quelque chose d'autre que ma psychopathe de mère qui voulait m'extrader. Et, qu'allais-je faire là-bas ? À quoi allait bien pouvoir me servir leurs maudits clubs d'échecs ? Et le bon goût français ?  Paris et les défilés, l'Eurostar que je prenais tout les week-ends ? Nice allait cruellement me manquer. Leur alcool aussi. Enfin. Pour vous raconter.
Ma mère, Thelma Westminster, d'origine anglaise, avait été propulsée contre son gré en Amérique à dix-huit ans pour étudier à Berkeley. Elle décrit encore la Californie comme étant le plus bel état d'Amérique et parle de Santa Barbara comme du Graal. Qu'est ce que j'en avais à foutre, moi, de San Francisco. Nice était MA ville. Elle a rencontré un bel homme à sa sortie de l'université, puis est tombée enceinte par accident, s'est mariée, et inutile de vous conter pas la suite. C'était décevant de croire que j'étais une erreur, puis le fait qu'elle soit emmenée en Amérique comme ça me donnait des doutes sur l'année de sa naissance. 1800 ou 1970 ? Bon, oui, ok. je n'en avais rien à faire. Elle voulait partir et quitter la France pour une seule et à peine bonne raison : un jeune homme avec presque dix ans de moins l'avait aguichée. Mon père était un irresponsable sans aucun sens de la famille, il préférait rester dans ses dossiers. Il n'a jamais été proche de moi, et j'assume le fait que je viens lui parler seulement quand mon compte bancaire se bloque. Rien qu'en observant comment il me regarde, on voit bien que je n'ai été qu'une erreur pour lui. Enfin, erreur ou pas, j'avais tout de même besoin de faire du shopping. Il devenait dangereux pour son petit confort de vie (je n'ai jamais réussi à trouver le nom de ce type, mais il ne connaissait vraiment rien à la discrétion : une fois, il a interrompu un dîner de famille barbant en appelant cinq fois de suite). Alors, ma mère a convaincu mon géniteur de s'en aller le plus loin possible. Elle semblait continuer de penser que je n'en savais rien. Vingt ans de plus que moi, mais elle ne savait toujours pas comment supprimer ses appels de son téléphone portable. J'avais, quelque peu forcer sur ses nerfs pour qu'elle me laisse vivre là où je le souhaitais. Mais rien à faire.

Nice, 5 Août 2007.

Un bain de sang. Un énorme bain de sang. Et le mien venait de devenir glacé. C'était abominablement atroce. J'étais figée, pendant des heures, assise, à regarder, malgré moi, ma mère, inerte. Elle était morte. Et j'étais orpheline.

J'avais beau me répéter qu'elle voulait me rendre malheureuse, sa mort me rendait déjà malheureuse. Elle s'était suicidée. Mon père n'a jamais été au courant des affaires extra-conjugales de sa femme. Mais il eut fallu que l'imbécile qu'elle avait pris pour amant l'appelle le soir où nous devions partir. La seule chose que je voulais à présent était de retrouver ce type et pouvoir le castrer, l'enfermer dans un tonneau semé de couteaux et le jeter dans la . Elle savait pertinemment qu'elle n'était rien sans mon père et que tout ce qu'elle avait pu faire pendant ses années allaient devenir privation s'il venait à savoir ce dont elle avait tant de mal à cacher. Mon père a décroché plus vite qu'elle et son amant n'était pas resté vraiment très classe au téléphone. Pendant des heures, ils se sont jetés les pires horreurs à la figure. Au début, j'en riais. Mais quand les expressions "pires erreurs" et "enfer blonde avec un cœur, deux jambes et un système digestif" sont sorties de leurs bouches, je me suis éloignée. Bien éloignée. Peut être un peu trop. Car, quand je suis revenue, mon père n'était plus là et elle, plus qu'à moitié.
Je commençais à penser que, quitter Milan était... Préférable. Et la rentrée finit par m'occuper. Une bande de filles idiotes me sautaient dessus et ne me laissaient plus respirer, tandis que je ne laissais plus aucun mec m'aguicher. Et Giulia, celle que je pensais être ma meilleure amie, n'en avait rien à faire. J'avais la vague impression que ma vie à Milan était terminé. San Francisco n'était peut être... Pas si ringard.

Santa Barbara, 2010.

Je n'ai plus besoin de toi. Vivre avec vous a été la pire chose qui me soit arrivée dans la vie. Elle est morte maintenant. Je te laisse te droguer et te bourrer seul, et n'oublie pas de les payer tes putes. À jamais. Voilà les dernières paroles que j'avais pu lui adresser.
Santa Barbara n'était pas si mal. Je venais de terminer mes études à la faculté de médecine, dans l'ambition de devenir psychiatre, pédopsychiatre. L'universite était remplie de garçons mignons mais vivre avec lui devenait insupportable. Il noyait son chagrin dans les alcools pas cher et ramenait une nouvelle pétasse chaque soir, qu'il s'empressait de renvoyer au petit matin. Il me dégoûtait. Le seul problème, était que sans lui, vivre n'allait pas pouvoir être possible. Du moins, vivre correctement... Alors, je me mis à chercher un travail. Serveuse, ou même réceptionniste pourvu que je ne sois pas une secrétaire, peut importe.
En allant à un entretien d'embauche, la directrice d'une agence de photographie m'avait proposé de me faire un book. Puis, j'eus réussi à travailler avec Elle, Dior, puis Chanel, en l'espace de deux ans. J'avais trouvé un appartement resplendissant et réussit à me relever en trouvant une place comme pédopsychiatre. Des tas de gamins avec de réels problèmes passaient dans mon cabinet : j'étais censé leur enseigner que les problèmes ne sont jamais insurmontables, mais c'était eux qui m'apprenaient la vie. Maintenant, je n'avais à me soucier de rien ni de personne. J'avais trouvé ma place, là où on ne me collait pas l'étiquette de l'erreur blonde avec un cœur, deux jambes et un système digestif. Vivre sans véritable attache était si simple. Rien ne m'importait plus que réussir. Plus rien.