Je pousse la porte du Drunk’s et balaye la salle du regard, mais pas de Erwan à l’horizon. Tout en poussant un long soupir, je m’installe au bar et attends que la barmaid vienne à ma rencontre. La jeune femme en question : une étudiante d’une vingtaine d’années, dotée d’un corps à s’en damner, passe derrière le comptoir et se jette dans mes bras. « Hello Bad Boy… » me susurre-t-elle à l’oreille, tandis que j’en profite pour poser mes mains sur ses hanches. « Salut Saley… » je lâche en relâchant notre étreinte. « Alors, ça y est, ils t’ont relâché ? » Un hochement de tête en guise de première réponse, j’enchaîne sur un « Fallait bien ! J’ai largement purgé ma peine ! Six mois enfermé pour avoir conduit une putain de camionnette, c’est quand même cher payé ! » La jeune femme acquiesce et retrouve sa place initiale. « Qu’est-ce que j’te serre ? » Je réfléchis un petit instant et comme il est encore très tôt, je décide de prendre quelque chose de soft. Bon en théorie, elle n'est pas censée me servir de l'alcool, mais ici, tout le monde fait comme si j'avais déjà 21 ans... « Une bière brune ! On va commencer doucement… » Sans ajouter quoi que ce soit, elle me sert et retourne voguer à ses occupations.

Quelques minutes plus tard, la porte de l’établissement s’ouvre à nouveau. Je me retourne machinalement et croise alors le regard de mon vieil ami. A la fois soulagé et heureux qu’il ait accepté de me rejoindre, je commence à lui faire signe, tout sourire. « Salut ! Je suis content que tu sois là… En arrivant, je n’étais pas sûr que t’allais venir… » D’ailleurs, s’il ne s’était pas montré aujourd’hui, j’aurais parfaitement compris. Si encore on passait notre temps à rire j’dis pas, mais ces derniers temps c’est plutôt tendu entre nous.

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Erwan semble être d’une humeur excellente et quelque part, je crois que ça me rassure. En l’invitant à prendre un verre, j’avais vraiment peur que la discussion tourne court et qu’on se dispute –mais sans trop m’avancer, je pense pouvoir dire que les choses sont plutôt bien parties. En réponse à mes appréhensions, il me fait simplement savoir qu’il s’est accordé une petite séance de remise en forme avant de venir, raison pour laquelle il est un peu en retard. Je souris en haussant les épaules. « T’en fais pas, y’a pas de mal ! C’est juste que j’me suis posé la question ! Faut dire qu’on a un peu de mal à se comprendre en ce moment, mais bon… on ne va pas aborder les sujets qui fâchent » dis-je tandis que Saley revient avec la bière du brun. Tout en levant mon verre à nos retrouvailles, je réponds à sa question. « Il ne s’est rien passé d’extraordinaire tu sais… J’ai continué à discuter avec les filles aux bras desquelles tu m’as lâchement abandonné… J’ai même pensé avoir une ouverture avec ta cousine, mais finalement non, elle est partie au bras d’une fille… J’ai pas tout compris, mais bon c’est pas grave ! Du coup, comme je ne trouvais pas Maxime et que Pimprenelle était toujours collée à son flic de pacotille, je suis rentré ! » Cette soirée n’avait définitivement pas tenue ses promesses et si elle avait bien commencée, elle aurait pu beaucoup mieux terminer. « C’est plutôt de ton côté qu’il y a quelque chose à creuser… T’es parti comme un voleur et avec un joli petit lot en plus… » dis-je en lui lançant un clin d’œil.  

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Je l’écoute me parler de sa cousine et ça me fait rire. Bizarrement, la description qu’il m’en donne ne me surprend pas tant que ça et j’ai même l’impression de me retrouver en version féminine, ce qui me fait sourire. Amusé par ma remarque ou probablement par le ton mi-piteux, mi-agacé que j’ai employé en lui racontant la fin de ma soirée, Erwan en profite pour me lancer un petit pic en disant que ce n’était pas mon soir. « Qu’est-ce que tu veux que j’te dise ? Il y a des jours avec et des jours sans… Et puis, si j’avais vraiment voulu, je ne serais pas rentré seul… » je lâche, comme pour défendre mon honneur de mâle blessé. Quoi ?! Je suis orgueilleux et je déteste qu’une femme me résiste ! C’est quand même pas un crime ?! « J’ai sûrement mis la barre trop haut avec ta cousine… » je constate, plus pour moi-même que dans l'intention d'obtenir une réponse. « Et cette divine créature ? » dis-je, en me moquant gentiment. « Tu comptes la revoir ? » Nous ne sommes pas du genre à nous étendre sur nos relations sentimentales et c’est un peu pour ça que je me suis permis de lui poser la question. Si je suis moi-même adepte des relations sans lendemains, je doute que ça soit son cas. Mais remarquez, pourquoi pas ? Après tout, il cache peut-être bien son jeu sous ses airs de genre idéal.  

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Je suis un peu surpris de l’entendre dire qu’il a désormais du mal à se voir évoluer dans une relation sérieuse. Erwan et moi, on a toujours été très différents, un peu comme le jour et la nuit. J’ai toujours été très trop sûr de moi, tandis que lui est d’un naturel beaucoup plus réservé. J’ai beaucoup de mal à garder mon calme et je passe mon temps à provoquer les gens alors qu’Erwan est réfléchi et a la tête sur les épaules. Je suis un véritable connard avec les filles, mais ça n’a jamais été son cas. Par conséquent, je ne sais plus très bien quoi penser –mais je suis plutôt content qu’il ait décidé de profiter de la vie. Après tout, c’est le moment ou jamais. « Tu serais donc prêt à papillonner ?! » Un grand sourire se dessine sur mes lèvres et je lève à nouveau verre. « A ce nouveau toi alors ! J’espère que tu en profiteras un maximum, car quand tu auras trouvé la bonne » dis-je en mimant des guillemets imaginaires « tu seras foutu ! Non pas que je crois à ce genre de conneries ! Tu me connais et tu sais bien ce que je pense de l’amour… » Il acquiesce, probablement conscient du fait que je n’ai jamais été un grand romantique. « Mais toi t’es un gentil garçon, un mec digne de confiance et quand les nénettes se sont lassées des bad-boys dans mon genre, c’est généralement avec des types comme toi qu’elles finissent » je conclus, en souriant. Le pire dans tout ça, c’est que c’est vrai. Les femmes sont souvent attirées par les mauvais garçons, mais lorsqu’elles réalisent que nous ne sommes pas fiables, elles retournent leurs vestes –et elles ont probablement raison.

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Moi non plus je n’ai jamais rien compris aux femmes, mais je n’ai jamais cherché à le faire. S’il y a bien une chose dont je sois intimement convaincu, c’est qu’il vaut mieux éviter de s’aventurer sur ce terrain-là. Les femmes sont des êtres incroyablement compliqués et bien souvent lorsqu’elles vous affirment quelque chose, en réalité elles pensent le contraire. Si par malheur vous n’avez pas saisi la nuance, vous vous retrouvez bien rapidement au cœur d’un ouragan. Les filles sont viles et mesquines… On pourra en dire ce qu’on voudra, ce sont elles les plus coriaces en amour, pas nous. « Je doute qu’il y ait véritablement une recette avec les femmes ! J’imagine qu’il faut les prendre au cas par cas… » dis-je en haussant les épaules. « Mais en attendant de trouver celle qui fera battre ton cœur, tu peux bien en profiter un peu ! Après tout, y’a pas de mal à se faire du bien ! » Cette phrase, c’est en quelques sortes devenu mon credo et si ça fait bien longtemps que je n’ai pas été engagé dans une relation sérieuse, je l’utilise toujours pour justifier mon comportement douteux et machiste envers les femmes qui passent dans mon lit. « Bon et à part ça ? Les cours, ça va ? Tu comptes continuer l’année prochaine ? » J’essaye de m’intéresser un peu, histoire de lui montrer que je ne suis pas qu’un petit con égoïste ; mais d’un autre côté, je sais aussi que ce sujet porte à controverse et qu’il risque de me revenir en pleine figure étant donné qu’Erwan n’apprécie pas tellement mes activités.

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Quelque part, je crois que je les envie. Je parle de tous ces gens qui, comme Erwan, suivent de grandes études et ont tout simplement un but dans la vie. Parfois, il m’arrive de regretter la voie dans laquelle je me suis engagé. Sous mes airs de tête-brûlée, il paraît que je suis plutôt rusé et si je m’étais donné un peu plus de mal à l’école, si je n’avais pas été aussi effrayé à l’idée de passer pour une tête d’ampoule, j’aurais sûrement pu faire de grandes choses moi-aussi. Ce doit être une des choses qu’on m’ait le plus reproché tout au long de ma vie ; le fait de ne pas exploiter mon quotient intellectuel et mes capacités hors du commun. Mais franchement, a quoi cela aurait-il servi ? Si j’en suis là aujourd’hui, ce n’est pas pour rien. J’ai pour principe que rien n’arrive pas hasard et si j’ai effectivement fait six mois de prison, c’est que ça devait arriver, c’était inévitable. Alors, oui, aborder le sujet avec quelqu’un d’aussi sérieux qu’Erwan n’était pas forcément une bonne idée, mais d’un autre côté, il fallait bien crever l'abcès… « T’as l’air un peu lassé par les études, j’me trompe ? » je demande en terminant ma bière, tandis que mon ami me demande comment ça se passe de mon côté. Il laisse volontairement sa phrase en suspend, mais je sais parfaitement où il veut en venir. « Tu sais, tu peux le dire… J’ai fait de la prison et je n’en ai pas honte » dis-je en faisant signe à Saley pour qu’elle nous resserve. « Je devrais peut-être, c’est vrai, mais ce qui est fait, est fait ! Quoi qu’il en soit, je ne fais pas grand-chose… J’essaye surtout de profiter de ma liberté retrouvée, même s’il m’arrive de travailler au black de temps à autre… Tu me connais, j’touche un peu à tout… Mécanique, informatique et j’en passe… »

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Erwan n’a pas franchement l’air décidé à s’étendre sur ses études et je préfère ne pas insister. De toute évidence, il est un peu perdu, il ne sait pas ce qu’il va faire par la suite et même si j’aurais milles fois préféré l’entendre tergiverser sur ses projets que de parler des miens qui sont, soit dit en passant, inexistants, il ne me laisse pas le choix. « Reprendre mes études ? Et pour faire quoi ? Je n’ai jamais vraiment su vers quelle filière m’orienter… Et puis en toute franchise, je doute qu’une école, et encore moins l’université de Santa Barbara, fréquentée par tous les fils et filles à papa de la ville, soit prête à accueillir un repris de justice… » C’est le moment que choisis Saley pour revenir avec nos verres. Une fois qu’elle s’est à nouveau éloignée de nous, je reporte mon attention sur Erwan, qui me fixe, l’air pensif. « C’est pas la peine de faire cette tête là tu sais… Je vais bien finir par trouver quoi faire de ma vie, j’suis encore jeune… Et puis, j’ai jamais été fait pour les études de toute manière… » Disons plutôt que je n’ai jamais voulu essayer, mais au fond, ça revient au même…

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Erwan a vraiment l’air concerné par mon avenir et même si je n’aime pas spécialement qu’on se mêle de mes affaires, ça ne me dérange pas tant que ça venant de lui. Le problème vient plutôt du fait qu’il aimerait que je me lance dans quelque chose d’un peu plus sérieux, du concret, tandis que de mon côté, je préfère vivre au jour le jour sans trop me poser de questions ou me demander de quoi demain sera fait. Lorsqu’il me demande si j’ai un rêve ou une passion, je lui réponds par un bref haussement d’épaules. « Honnêtement ? Je ne sais pas. Ça fait trop longtemps que je ne me suis pas posé la question ! Si tu me demandes quels sont mes centres d’intérêts, l’alcool et les femmes mis à part » je poursuis, dans un sourire « je serais bien tenté de répondre l’informatique, les sciences physiques ou même la boxe, mais honnêtement, qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ? Ces choses sont totalement différentes… Puis tu sembles oublier qu’université ou pas, il faut avoir un paquet de fric pour faire des études dans ce foutu pays, chose que je n’ai pas… » Sur ces belles paroles, je lève à nouveau mon verre en sa direction. « Les petits boulots, c’est pas si mal… Ça va aller, t’en fais pas pour moi ! » Je vois bien qu’il aurait préféré entendre autre chose, mais il devra s’en contenter. Tandis qu’il prépare sa réponse, un homme, la vingtaine bien avancée, m’accoste. « Salut ! Désolé de m’imposer, mais je voulais savoir quand tu pourrais me donner ce que tu m’avais promis… » Sur le coup, j’ai envie de le frapper, une folle envie de l’emmener dehors et de lui éclater la tête contre le bitume, mais je tâche de garder mon sang-froid, pour Erwan, justement parce qu’il est là. « Commence déjà par me payer ce que tu m’dois et après on verra ! Maintenant dégage ! » Le type tourne le dos sans demander son reste. Il me connaît et il sait qu’il a fait une grossière erreur en venant me relancer ! Surtout sachant qu’il me doit encore trois sachets d’herbe. « Désolé pour ça… » j’ajoute, à l’intention d’Erwan.  

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Tout avait pourtant si bien commencé… Notre conversation était plutôt calme et même si nous n’avions pas nécessairement le même point de vue, tout se déroulait à merveille. L’espace de quelques instants, j’ai même pensé pouvoir renouer avec mon vieil ami et prétendre que ces derniers mois n’avaient jamais existé. Si les choses étaient véritablement sur le point de s’arranger, l’intervention de cet abruti de toxico a tout gâché. « Euh… ça… c’est… » Je me gratte le haut du crâne, affreusement mal à l’aise. En réalité, je ne sais pas quoi lui répondre. Si je lui dis la vérité, Erwan va être fou de rage. Si j’invente un mensonge et qu’il s’en rend compte, il sera plus en colère encore. Dans tous les cas on finira par se disputer ; je suis coincé. « J’ai travaillé au black pour ce type…J’ai réparé son pc portable. Comme il avait l’air plutôt satisfait de mon travail, il m’a demandé si je ne pouvais pas lui ajouter des barrettes de mémoire sur son poste fixe… Le souci, c’est qu’il me doit encore un paquet de pognon! Faut pas croire, mais c’est pas donner ce matos ! Du coup, temps qu’il n’aura pas régler la facture, je garde son unité centrale en otage… » J’ai honte de moi. Tellement honte que je me cache dans mon verre, que j’avale d’un trait.

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Je mens, comme un arracheur de dents et j’ai vraiment honte de moi. Quand il me fait remarquer que mon excuse ne tient pas la route, j’arrive à peine à soutenir son regard. Qu’est-ce que je croyais ? Jamais un type aussi intelligent que lui ne pourrait gober une histoire aussi ridicule. Je suis vraiment trop stupide ! Conscient que je me suis payé sa tête, Erwan me prie de lui dire la vérité et lorsqu’il me demande si j’ai des problèmes, je crois déceler une once d’inquiétude dans sa voix. « Tout va bien, rassure-toi ! » Erwan me lance alors un regard bourré de sous-entendus. « Qu’est-ce que tu vas chercher?! Tu crois que je suis retombé dans mes petites magouilles ? Que je prépare un nouveau braquage, c'est ça ? » Même si ses appréhensions sont, dans une certaine mesure en tout cas, fondées, je prends ça comme une attaque personnelle, pour ne pas dire une trahison. Si je ne prétends pas être blanc comme neige, j’aimerais au moins qu’il m’accorde le bénéfice du doute et cesse de me toiser comme un criminel, lui qui se prétend mon ami. « Que tu le crois ou non, j’ai eu le temps de réfléchir lorsque j’étais coincé entre quatre murs et je n’ai vraiment pas l’intention d’y retourner… » Pourquoi continuer à trafiquer, alors ? Allez-savoir… Sans doute subsiste-t-il en moi quelque autre amour du danger.

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J’ai peut-être tort de réagir de cette manière et de me braquer sachant qu’il cherche avant tout à m’aider, mais je ne supporte pas qu’on mette le nez dans mes affaires ; je ne l’ai jamais supporté. Malika et Jackson passent leur temps à surveiller le moindre de mes faits et gestes et c’est déjà suffisamment pesant sans qu’Erwan ne décide d’en faire de même. « Je ne suis pas retombé dans mes magouilles et ce n’est pas dans mes projets ! Seulement, on ne peut pas changer du tout au tout ! Non, mais qu’est-ce que tu croyais ? Que j’allais tout arrêter du jour au lendemain, me trouver un travail convenable et devenir blanc comme neige ? » Il ne répond pas, mais je sais parfaitement que c’est ce qu’il attend de moi. « Désolé de te décevoir, mais ce n’est pas fait pour moi ! J’ai besoin de me sentir libre et de faire ce dont j’ai envie ! Je ne veux pas d’un train train quotidien ou d’une vie ennuyeuse à mourir ! Je sais que ça te dépasse et que tu t’inquiètes pour moi, mais fais-moi confiance, je sais ce que je fais… »

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