« Et donc t’as fait ça pour ta sœur ?? » Le petit jeune assis en face de moi, à quelques centimètres de moi, dans cette micro-cellule qui était devenu mon quotidien, ne comprends pas. Trois ans que j’étais ici, et dans quelques jours je pourrais bientôt revoir le monde extérieur, pouvoir retrouvé ma sœur, de nouveau travailler et avoir un toit à moi … Trois ans, c’était long, mais pour protégé la vie de sa sœur, ce n’était rien du tout. J’aurai pu, je pouvais tout faire pour ma sœur, même me faire tuer. La prunelle de mes yeux. Elle était tout pour moi, surtout depuis que notre feu père avait tué notre mère, peu de temps avant sa mort. « Si j’ai fait ça pour ma sœur ? Evidemment. Je n’ai pas tué notre père, mais faut pas croire que c’est une meurtrière. On a pas eu une vie facile, et elle encore moins. Mon père l’a battait, ma mère ne l’aimait pas. Elle ne pouvait compter que sur moi et j’ai pas été foutu d’être là pour la protéger. Alors un jour elle a pété les plombs … » Le jeune en face de moi me fixe de ses yeux immensément verts. « Et donc t’as pris trois ans à cause de ta sœur ? » Il hurle. C’est encore un gamin, j’lui en veux pas, mais je me retiens tout de même de lui fracasser la tronche contre le mur. « T’es complètement con ou tu le fais exprès ? Tu dois pas avoir de petite sœur toi ! J’ai fait ça pour la protéger, pour qu’elle vive sa vie. C’est une merveilleuse jeune femme et pour rien au monde j’aurais voulu qu’elle soit salie par ce meurtre. Alors ouais, j’avais rien à perdre moi – mis à part elle – alors j’ai préféré tout prendre. Puis c’est pas comme si j’avais été tout blanc. » Mon colocataire sa cale au fond du lit, posant donc dos contre le mur dégueulasse et où l’on peut lire des tonnes de mots qui ne veulent plus rien dire. Moi, il m’est impossible de m’asseoir, de rester planté là, alors je tourne comme un lion en cage, devant la « fenêtre ». Plus qu’une semaine. « Ah ouais ? T’étais pas tout blanc ? T’as fait quoi ? » Je ris doucement. J’ai toujours été le mec « pas fréquentable » de la famille, le « bad boy » - comme aimait m’appeler Pimprenelle. Fallait dire qu’en grandissant j’étais devenu un beau connard, d’abord avec les filles – je les enchainais, les prenant pour des objets – puis ensuite avec mes amis et ma famille. Mais déjà petit, j’étais l’enfant turbulent, celui qu’on déteste avoir chez soi et avec qui personne ne veut jouer. Puis à dix-neuf ans j’ai pris la voiture, j’étais complétement déchiré, j’aurais jamais dû conduire, je le savais, mais j’étais le goss le plus con. Et bien sûr j’ai fait un accident, j’ai renversé une femme, morte sur le coup. Mais j’ai flippé et je me suis barré. J’ai fait de la garde à vue pour ça, mais pas de prison… Puis j’ai dealer, j’ai fait quelques casses, rien de bien fou, mais bon. »[/color] En repensant à toutes ces années de débilité profonde, je me rends compte que j’aurais eu besoin de grandes claques dans la gueule, mais j’étais le plus grand, le premier enfant de la famille alors ma mère ne me disait jamais rien et mon père était toujours trop bourré pour faire quoi que ce soit d’ailleurs. Mais ma sœur a grandi, ma sœur a morflé, ma sœur a douillé à ma place, mon père se « réveillé » lorsque ma sœur faisait un geste et elle prenait tout ce qu’il ne m’a jamais donné. Je m’en suis voulu, toute ma vie. Primprenelle était tout pour moi. « Mais ici, je suis pas resté sagement à ma place. Fallait bien que j’y sois pour une bonne raison ! » Les yeux de mon colocataire s’élargissent une nouvelle fois et soudain il semble tout excité : « Ouaaais j’ai entendu parlé de ça. T’as tué un mec ? » Soudain j’ai l’impression d’être un dieu à ses yeux, mais je ne veux pas de ça. Tuer un homme de sang-froid ne doit pas faire de moi un être suprême : « Ouais. Un tueur en série d’enfants. D’abord il les violait pendant des années, les pauvres enfants étaient enfermés dans la cave, étaient torturés et lorsque ce gros porc avait les couilles qui le démangeait, il les violait. Puis quand il se lassait d’eux, il les tuait, les découpait et les enterrait. Il en a tué plus de cent… C’était inadmissible qu’il soit encore en vie et surtout qu’il partage ma cellule. » Le jeune se lève d’un coup, regarde son lit et affiche un air de dégout intense : « PUTAIN !  Me dit pas qu’il a dormi dans ce lit !!!! » J’hoche rapidement la tête, un air contrit peint sur le visage. « Si ! Mais je te rassure, il n’y est pas resté longtemps. Il m’a d’abord raconté tous ces méfaits, toutes ces horreurs qu’il a fait subir aux gosses, et je l’écoutais … Tout ce qu’il n’a jamais dit aux flics ou à je ne sais qui, moi je le savais ! Cet enfoiré pensait que je comprenais ce qu’il avait fait, que j’étais comme lui ! Mais il pensait très mal. Alors j’ai attendu qu’il aille se doucher, je l’ai rejoint et je lui ai coupé les couilles. T’aurais dû voir sa tête lorsqu’il les a vues par terre, filant à toute vitesse vers les tuyaux de canalisation. Mais je lui ai pas laissé le temps de souffler. Je lui ai planté cinq fois le couteau – improvisé – dans le ventre et nous l’avons laissé agoniser là. » Je fais une pause dans mon récit. Je ne suis pas fière de ce que j’ai fait, mais une pourriture de moins sur terre, ça ne fait pas de mal. Puis au moins j’ai vengé tous ces enfants, ce que personne n’a osé faire. « Et non, les gardes n’ont rien dit. Je les ai avertis de tout ce qu’il me racontait, chaque jour. Alors ils ont compris qu’il fallait qu’ils enregistrent tout ça. Et ils ont su que j’allais faire ça, ils l’ont même su bien avant moi. Alors quand je l’ai buté, ils ont fait en sorte de ne pas être dans les parages, de ne rien savoir, de n’avoir rien entendu ni vu. De toute façon tout le monde voulait qu’il crève cet enfoiré. On aime pas les violeurs et les tueurs d’enfants et de femme ici. » Il déglutit bruyamment. Son visage a viré au vert, mon récit l’a chamboulé. Mais faut pas qu’il pense qu’ici c’est Camping Paradis, ici faut faire gaffe à où tu marches, à qui tu parles et surtout à ne jamais tourner le dos à tes ennemis.

Deux semaines. Deux semaines que je suis sorti de prison. Deux semaines que je respire enfin l’air libre – et surtout très pollué – de ma ville natale. Je n’ai pas revu ma sœur, et j’appréhende nos retrouvailles. Elle n'est jamais venue me voir en prison, je lui avais dit que je ne voulais pas qu’elle mette les pieds dans cet endroit infâme. J’ai peur de la revoir, de sa réaction mais il le faut pourtant. Je ne pourrais pas continuer d’avancer sans l’avoir à mes côtés.  Je n’ai pas encore retrouvé d’appartement, ni de travail, alors pour l’instant je vis dans le motel tout pourri du coin, mais je sais que tout va bien se passer.  Je ne suis pas le premier à avoir fait de la taule quand même ?!