Autumn n'est pas une personne à l'horloge fixe. Parfois, elle peut se réveiller à onze heures du matin et vouloir se rendormir. D'autres fois, elle est debout à six heures tapantes, remplie d'énergie. C'est le cas ce matin là. Le soleil a déjà montré le bout de son nez à Santa Barbara et Autumn a envie de brûler des calories. Non, en réalité, elle rêve manger un petit-déjeuner gras et copieux accompagné d'un énorme café parce que cet après-midi, elle a rendez-vous pour le travail pour aider une jeune adolescente enceinte de six mois et la pauvre gamine est un cas social. Elle passe son temps à pleurer et à se morfondre et Autumn n'a jamais autant voulu annuler un rendez-vous. Néanmoins, se noyer dans la nourriture n'est pas quelque chose qu'elle fait - pas quand elle pourrait prendre des fesses et dire adieu à la moitié de sa garde-robe. Autumn n'a jamais été étudiante à l'université de Santa Barbara mais un, le campus est magnifique, deux, ils sont un petit coffee shop qui sert d'excellent baguel. Elle se change donc en jogging avant de partir là-bas en voiture. Elle se gare et part courir. Elle se dit qu'en courant une dizaine de kilomètres, elle devrait pouvoir justifier l'énorme petit-déjeuner qu'elle va s'acheter et ne pas être d'une humeur massacrante l'après-midi même. Ecouteurs sur les oreilles, elle en est à son cinquième kilomètre quand, au détour d'une allée, elle rentre droit dans quelqu'un. Pas d'humeur à s'excuser, elle enchaine aussitôt : « Tu peux pas regarder où tu vas ! »

Autumn retire ses écouteurs, profondément agacée. Décidément, elle le sent, cette journée ne va pas être la sienne. Elle relève la tête et lève les yeux au ciel quand elle voit qui est en face d'elle. Evidemment, parmi tous les étudiants du campus, il fallait qu'elle tombe sur lui. Thomas. Allez savoir pourquoi mais depuis qu'elle le connait, elle ne le supporte pas. Il y a quelque chose chez lui qui l'agace profondément. Elle recule légèrement, n'appréciant pas vraiment d'être trop près lui. « C'est une question point de vue. » répond-elle sèchement. Après ça, Autumn aurait pu passer son chemin mais ce n'est pas son genre. Elle ne baisse jamais la tête face à qui que ce soit et elle a toujours le dernier mot. Et elle doit avouer qu'une part d'elle se dit qu'embêtait l'étudiant pourrait peut-être finalement rendre sa journée plus ensoleillée. « De mon point de vue, il y a plus de chances qu'un étudiant aux revenues certainement moyennes qui étudie Dieu sait quoi et qui de toute façon à tout juste une chance sur cinq de réaliser son rêve rentre dans quelqu'un qu'une personne comme moi, » continue-t-elle, la voix venimeuse. Elle offre à Thomas un sourire mi-arrogant, mi-satisfait. « Mais comme je dis, ce n'est qu'une question de point vue. »

Autumn lève les yeux au ciel pour la énième fois. Bien sûr qu'il y a un rapport. Contrairement à lui, la brune est plus élégante et distinguée et ne fait pas des choses triviales comme rentrer dans les gens. Sérieusement, il la dépasse d'une tête, il aurait pu la voir arriver. Oui, Autumn est la reine de la mauvaise foi mais ce qui est magnifique dans le monde d'Autumn Davenport, c'est qu'elle n'a jamais tort. Et puis de toute façon, faire enrager les gens c'est un peu son deuxième métier ou alors son passe-temps favori. « M'excusez et puis quoi encore. » claque-t-elle, fortement agacée. Elle n'en revient pas quand elle entend ces prochaines paroles. « J'ai reconnu mes torts ? Je crois qu'on assiste à deux conversations différentes. Rassure-moi tu n'étudies pas les lettres ou le français ? Parce que je te conseille de te réorienter si c'est le cas. » Autumn le regarde de haut en bas avec tout le dédain qu'elle peut rassembler. Certes, il n'est pas laid mais il faut dire qu'il est un peu trop gringalet, elle lui donne quatre sur dix et encore elle est sympa. « Je suis coach de vie, je me proposerai bien pour t'aider parce que je suis sûre que ta vie est... Je ne trouve même pas de mots en fait. Je sais reconnaître un cas perdu quand j'en vois. » Très bien, Autumn a dépassé la simple attaque de garce et est tout simplement méchante mais elle a juste besoin de passer ses nerfs sur quelqu'un. Thomas est là, dommage pour lui. « Laisse-moi deviner, tu es célibataire, seul et sans personne pour t'aimer ? » demande-t-elle avec une voix moqueuse.

Autumn ne peut retenir à un petit rire rempli de cynisme aux insultes de Thomas. Egoïste et pleine de mauvaise foi ne sont pas les pires choses qu'on lui ait dites. Entre les noms d'oiseaux et les longs monologues qui expliquent en long et en large pourquoi elle est une personne affreuse - ces monologues qu'Autumn n'écoute que d'une oreille - Thomas n'a visiblement pas de talent pour insulter les gens. En plus, elle n'est totalement pas d'accord avec lui. Elle passe sa vie à aider les gens - d'accord elle tire une satisfaction presque malsaine à pouvoir leur botter les fesses pour les motiver. Et elle n'est pas de mauvaise foi. Preuve ? Elle sait qu'elle est une peste de première, une allumeuse et elle n'est pas vraiment proche de la définition du mot "gentille". Mais elle le sait et assume son étiquette de garce avec fierté. « En dehors de mon métier ? Oui, j'ai ce qui s'appelle des amis. Tu connais ou le concept est totalement étranger pour toi ? » répond Autumn, la voix dégoulinant de sarcasme. « Et pour ton information, j'ai aidé des dizaines de personnes. En fait, je peux aider n'importe qui tant que leurs problèmes sont dans la case réaliste. Ce qui t'exclut malheureusement mais peut-être qu'un jour tu rencontreras quelqu'un sourd et aveugle. » lance-t-elle. Elle fronce légèrement les sourcils à la question de Thomas. En quoi ça l'intéresse ? « Pourquoi tu veux savoir ? Est-ce que ta colère est une façon détournée d'exprimer ta passion éternelle pour moi. Parce que je ne suis pas intéressée. » Mais parce qu'Autumn adore se vanter de ses conquêtes, elle répond tout de même. « Enfin si tu veux savoir, il y a des tas de quelqu'un dans ma vie, prêts à exaucer le moindre de mes désirs. »

Autumn fusille Thomas du regard. Elle a des amis, merci bien. Bon, il y a différentes sortes d'amis. Il y a ceux qu'elles apprécient mais à petite dose parce que sinon, au secours. Il y a ceux avec qui elle couche. Et puis il y a ces personnes qui sont proches d'elle, qui la connaissent par coeur. Elle les compte sur les doigts d'une main mais ils n'ont pas besoin d'être nombreux. « Crois-moi, une garce aura toujours plus d'amis qu'un probable geek pour toi. Dans le meilleur des cas, tu finiras marier avec ton ordinateur. » Autumn est persuadée que Thomas fait partie de ces gens dont les deux meilleurs amis sont en réalité des internautes aux pseudos bizarres qu'il n'a jamais rencontrés et qu'on peut définir de '40 ans toujours puceaux.' Autumn ne recommence pas à lui expliquer une nouvelle fois que son métier aide les gens parce qu'un, il n'en vaut pas la peine, deux il ne pourrait certainement pas comprendre. Autumn a assez d'estime et de confiance en soi pour ne pas tenter de convaincre le premier idiot qu'elle peut changer la vie de personnes en mieux. Encore une fois, merci bien. Elle plisse les yeux face à l'attitude presque pacifiste de Thomas. « Ca n'a rien à voir avec une question de courage, de toute façon je ne fais pas dans le relationnel. Pas que ça te regarde. » Autumn réfléchit à se prochaine pique, envisage d'insulter l'absence de sexualité de Thomas avant de décider qu'elle a mieux à faire. « Eh bien, cette rencontre était tout à fait désagréable et maintenant je vais partir avant que ton absence de vie sociale déteigne sur moi. » Autumn contourne Thomas et s'en va sans un dernier regard. Elle n'a même pas fait deux mètres qu'il lui vient en tête qu'il n'a jamais répondu à sa question. Elle fait un mètre de plus avant de réaliser que contrairement à lui, elle lui a donné une réponse. Deux mètres encore et Autumn fait brutalement demi-tour, dévorée par la curiosité. « Attends ! » Elle rattrape Thomas. « En toute inimitié, il y a vraiment une fille ? » demande-t-elle, décidée à avoir la réponse coûte que coûte.

On dit que la curiosité est un vilain défaut mais des vilains défauts, Autumn en a des dizaines et elle les assume tous un par un. Au fond, sa curiosité est plus une qualité qu'autre chose. Donc il y a bien une fille. Elle doit avouer que s'attendre à des détails est un peu utopique de sa part mais voilà, Santa Barbara est une ville avec des barrières blanches, des pelouses bien tondues et des secrets à tous les points de vue. Les rumeurs sont un peu l'essence même de Santa Barbara et Autumn adore ça. Voyant que rien ne va arriver, elle essaie de trouver quelque chose à dire, pas de méchant évidemment mais comme elle ne fait pas dans la gentillesse non plus et qu'elle n'aime pas le jeune homme en face d'elle, la tâche s'avère plus ardue qu'on pourrait le croire. « Evidemment. Eh bien, tu sais... La tête de geek, que tu en sois un ou pas, ça n'est jamais à l'avantage de personne. » S'il se faisait relooker rien qu'un peu, Autumn est sûre qu'en premier lieu, elle n'aurait pas été si cruelle avec lui mais ce n'est pas comme si elle allait se proposer. Elle a autre chose à faire que perdre son temps avec des étudiants. Non, elle veut juste se mettre un potin sous la dent. « Et donc, c'est quoi son nom ? » demande-t-elle, loin d'être subtile. « Peut-être que je la connais qui sait. Enfin, si je la connais, je ne te donnerai pas de conseils ou quoique ce soit parce qu'on ne s'aime pas et que de toute façon, tu ne les écouterais pas. Mais bon, si tu perds ton temps avec elle, je pourrais te le dire. Et éviter une situation vraiment gênante, tu vois, parfois j'aide les gens, même ceux que je ne porte pas dans mon coeur. »

La réponse de Thomas agace profondément Autumn. Bon d'accord, elle a peut-être passé les dix dernières minutes à le rebaisser mais toute son attitude et sa façon d'être l'obligent à le faire. C'est sans doute instinctif, elle ne supporte les gens pathétiques. On ne peut pas lutter contre ses instincts. Néanmoins, pour une fois qu'elle se propose d'être sympa avec lui, il la rejette. Comme il veut. « Déjà de un, je peux garder un secret, merci bien. Ce n'est pas comme si ta petite amourette allait intéresser toute la ville. » C'est juste deux mots après tout. Le prénom et nom de cette fille et Autumn aurait été satisfaite et l'aurait laissé tranquille mais non. « Et de deux, il ne faut jamais dire jamais. J'ai une vie sociale contrairement à certaines personnes. Je peux très bien la connaître. Bien que je t'accorde raison sur un point, il y a très peu de chances qu'on soit amies. Je ne peux pas m'entendre avec une personne qui s'intéresse à toi. » Pourtant, Autumn aimerait connaître cette fille juste un peu juste pour dire à Thomas 'tu vois je te l'avais dit que je la connaissais.' Néanmoins, ça n'arrivera pas et en jetant un rapide coup d'oeil à sa montre, Autumn réalise qu'elle doit vraiment y aller. « Sur ce, je n'ai plus rien à faire ici. Au plaisir de ne plus jamais te recroiser. » Autumn fait demi-tour et part pour de bon, rejoignant sa voiture. En milieu d'après-midi, elle a complétement oublié cette conversation.